Protée et les avatars du Métavers
L’Immatérialisme
George Berkeley, connu sous le nom de Bishop Berkeley, est un philosophe et évêque anglican irlandais du 18ème siècle, dont le principal apport à la philosophie fut la défense de l’immatérialisme, résumé par la formule « esse est percipi aut percipere » (« être, c’est être perçu où percevoir »). Pour Berkeley, La matière n’existe que par la perception que l’on en a. La perception est l’effet que produit sur l’esprit un autre esprit qui n’est autre que Dieu. Le monde est un ensemble de signes que Dieu envoie aux hommes. Il n’est que l’ensemble des données sensibles produites en nous par l’opération divine qui se manifeste par nos sens, et à qui nous attribuons une réalité. Or, celle-ci n’est que le pur produit de notre
imagination. Les choses, qui n’ont pas la faculté de penser, sont perçues et c’est l’esprit qui les perçoit. La théorie de Berkeley montre que les individus peuvent seulement connaître les sensations et les idées des objets au travers du « voile des mots », non la réalité de la matière.
Mais transportons-nous deux siècles plus tard, et voyons ce que nous en dit Stanley Weinbaum :
- Bishop Berkeley, hein ?
- Ainsi, vous le connaissez ? Répondit Dan. Le philosophe de l’idéalisme, non ? Celui qui prétend que nous ne voyons, ni ne sentons, ni n’entendons, ni ne goûtons l’objet, mais que nous avons simplement la sensation de le voir, de le sentir, de l’entendre et de le goûter.
- Ha ! Mais les sensations sont des phénomènes mentaux. Elles existent dans notre esprit. Comment, alors, pouvons-nous savoir que les objets eux-mêmes n’existent pas uniquement dans notre esprit ?
- C’est de l’évasion, grogna-t-il. N’importe qui peut faire la différence entre un tableau et la réalité, ou entre un film et la vie.
- Mais, chuchota l’autre, plus c’est vrai, mieux cela vaut, non ? Et si l’on pouvait rendre un… un film très vrai en vérité, que diriez-vous alors ?
- Mais personne ne le peut.
- Moi je le peux, souffla le vieux. Moi je l’ai fait ! Ça ne vous dit rien, hein ? Mais écoutez… Un film qui vous apporte la vision et le son. Supposez maintenant que j’y ajoute le goût, l’odeur, même le toucher, si votre intérêt est éveillé par l’intrigue. Supposez que je puisse vous introduire vous-même dans l’histoire. Vous parlez aux ombres et les ombres vous répondent, et au lieu d’être sur un écran, l’histoire se déroule tout autour de vous, et vous en faites partie. Est-ce que ça ne rendrait pas un rêve réel ?
Ces phrases, écrites en 1935 par Stanley Weinbaum dans « Pygmalion’s Spectacles », titre traduit en français par « Les lunettes de Pygmalion », laissaient déjà entrevoir la propension de l’homme à se laisser séduire par l’illusion produite par les sens dont nous parlait Berkeley. La nouvelle de Weinbaum évoquait l’appétence de l’homme pour les mondes virtuels qui en sont une illustration, et qu’il faisait naître par la création de lunettes aptes à nous transporter, et à faire de nous des acteurs plutôt que des spectateurs. Cette nouvelle décrit un monde imaginaire dans lequel le héros accède en utilisant un casque muni d’écrans à cristaux liquides. Il peut voir et entendre ce monde parallèle, mais aussi s’y déplacer et interagir avec les autres individus qui s’y trouvent.
Rappelons qu’en 1935, aucun ordinateur n’avait encore été inventé, et la réalité virtuelle encore moins… Cette année-là, International Business Machines lance l’IBM 601, une machine à cartes perforées dotée d’une unité arithmétique à relais, capable de faire une multiplication par seconde. Les premiers ordinateurs à tubes à vide seront construits à l’Université de la Pennsylvanie en 1946, lançant la lignée des ordinateurs que nous utilisons aujourd’hui. Les transistors ont remplacé les tubes à vide, mais le fonctionnement est exactement le même.
Ainsi, dès 1935, apparaît la description du premier monde virtuel, avant même que la technique soit capable de le réaliser…
CyberPunk
En 1984, William Gibson, pionnier du mouvement cyberpunk, dessine, dans son ouvrage « Neuromancien », les contours du « cyber espace », qu’il définit comme une « hallucination consensuelle vécue quotidiennement par des dizaines de millions d’opérateurs ». Le cyberespace, ce monde de réalité virtuelle que Gibson nomme « Matrice » dans son ouvrage, est aujourd’hui appelé métavers.
Le concept du métavers a été inventé par Neal Stephenson dans son roman post-cyberpunk de 1992 « Snow Crash », traduit en français par « Le samouraï virtuel ». L’auteur y décrit un monde virtuel — et à cette époque totalement imaginaire —, dans lequel on pénètre grâce à un casque. Dans son ouvrage, l’auteur évoque un monde dystopique où des sociétés technologiques dominent le monde.
Le Métavers
L’étymologie du mot métavers est construite à partir de « méta », qui signifie « au-delà » (comme dans métaphysique), tandis que « vers » se rapporte à l’univers ; soit un univers « au-delà du nôtre » et de notre appréhension du réel. Le métavers désigne un état de la technologie qui transcende l’univers. Il est à notre réalité ce que la métaphysique est à la physique. Il s’agit d’une construction graphique en 3D qui réalise en réalité virtuelle un univers ressemblant au monde réel et ce, en utilisant des technologies basées sur l’intelligence artificielle. Le métavers est donc un univers virtuel, à la fois immersif et persistant, dans lequel est créé un espace de discussion, de travail et même de vie, et qui permet à un internaute de s’y plonger dans la durée et d’y mener une existence parallèle à celle qu’il a dans le monde réel, de devenir ce qu’il désire, sous la forme du personnage virtuel qu’il a créé : un avatar.
Le métavers repose sur les technologies immersives (réalités virtuelle, augmentée et mixte), le Web 3.0, la blockchain, les cryptomonnaies et les NFT.
Un NFT (Non-Fungible Token) est un fichier numérique suivi, stocké et authentifié dans la Blockchain grâce à un identifiant numérique qui le rend unique et non fongible. Ce « jeton » (Token) permet de certifier que l’on est bien le possesseur d’une œuvre digitale : peinture digitale, photo, vidéo, objet virtuel, avatar. L’intérêt de créer son avatar sous la forme d’un NFT permet de s’assurer que personne ne pourra s’approprier cette création.
Le métavers fait référence à la fois aux mondes virtuels et à l’infrastructure qui régit ces mondes virtuels. Il s’agit d’un « monde » qui se veut aussi complet que le monde réel, avec ses structures organisationnelles, son économie, ses codes sociétaux, un espace dans lequel on peut créer des objets, gagner de l’argent (mais surtout en perdre), acheter, s’habiller, se divertir ; en un mot : vivre parallèlement. C’est aussi un univers qui continue d’évoluer et de se développer même lorsqu’on s’en déconnecte. Il a donc une continuité en dehors de notre seule présence.
Une fois à l’intérieur, on peut s’y mouvoir, échanger avec d’autres individus, interagir avec des objets, avec son environnement… Bref, le métavers est une sorte de mix de jeux vidéo, de réseaux sociaux, d’Internet et de réalité virtuelle. Le tout de manière très immersive et synchrone, aussi bien en termes de perception sensorielle que d’interactions sociales avec, potentiellement, les millions de personnes qui se connectent en même temps. Dans ce monde virtuel, notre jumeau numérique prend la forme d’un avatar qui est la projection de la personnalité que nous voulons bien lui donner.
Actuellement, les graphismes sont encore assez grossiers et l’animation d’objets dans un monde virtuel en trois dimensions est encore relativement chaotique ; mais avec les améliorations constantes de la technologie, le métavers devrait prochainement affronter le concept de « la vallée de l’étrange ». Il s’agit d’une théorie émise par le roboticien japonais Masahiro Mori, publiée pour la première fois en 1970, selon laquelle plus un robot androïde est similaire à un être humain, plus ses imperfections nous paraissent monstrueuses. Il s’agit de cette sensation gênante, ressentie face à une représentation ultra-fidèle de l’homme, mais dont toute forme d’expressivité est absente et manque cruellement d’humanité, si bien que cela saute aux yeux. Ce concept forgé à propos des robots s’applique aussi aux personnages qui se meuvent dans le métavers.
Ces personnages, ce sont les avatars. Le terme avatar vient du sanskrit « avatāra » qui signifie « descente sur la terre d’une divinité », généralement Vishnou. Cette divinité intervient pour rétablir le dharma (terme polysémique que l’on peut traduire ici par ordre du monde), sauver le monde du désordre engendré par les ennemis des dieux dans le cosmos. Pour ce faire, Vishnou se réincarne sous différentes formes, ses avatars ; mais d’autres dieux du panthéon hindou ont aussi des avatars.
Protée
Dans la Grèce antique, le dieu Protée a, lui aussi, la capacité de pouvoir adopter n’importe quelle forme animale, végétale ou élémentale.
Son mythe raconte l’histoire d’un dieu sauvage qui se transformait pour échapper à ses poursuivants. Les auteurs antiques, notamment Homère et Virgile, le décrivent tantôt comme un dieu, fils de Poséidon et d’une nymphe marine nommée Thétys tantôt comme un mortel, un roi héroïsé d’Égypte ou un devin. Il est décrit par Homère comme le « vieillard de la mer » et gardien des troupeaux de phoques de Poséidon.
Ses aptitudes et les modalités qui conditionnent son approche sont fascinantes : pour que Protée révèle « ce qui est, ce qui fut, et ce qui sera », son interlocuteur doit ruser pour s’emparer de lui, attendre le moment où le dieu relâchera son attention sous l’effet du sommeil. Pour obtenir des réponses de Protée, les marins qui passent non loin de l’île où il habite doivent donc le capturer et le maintenir prisonnier. Même pris dans les liens, il continue de se dérober par mille métamorphoses, comme pour mettre à l’épreuve la patience et la ténacité du héros venu le consulter, et mesurer l’intensité du désir qu’il a de connaître le vrai.
Retenu depuis vingt jours sur l’île de Pharos, où réside Protée, Ménélas, de retour de la guerre de Troie, ne peut prendre la mer faute de vents favorables : les dieux l’y retiennent, pour le punir d’avoir oublié de leur offrir le sacrifice de l’hécatombe, dont il avait fait le vœu. D’après l’étymologie, il s’agissait de sacrifier 100 bœufs !
Dans son malheur, Ménélas suscite la pitié d’une divinité qui le « sauve » : Idothée, « fille du robuste Protée, Vieux de la mer », immortel vassal de Poséidon. Puisque les dieux savent tout, il lui demande de lui révéler « quel immortel l’entrave et lui barre la route ». Idothée lui conseille de s’adresser à Protée, qui est le mieux à même de répondre à la question. Mais pour cela, il faut le prendre en embuscade. Ménélas choisit trois compagnons parmi les meilleurs et retrouve la déesse qui a ramené des profondeurs marines les peaux de quatre phoques fraîchement écorchés. Elle en revêt Ménélas et ses compagnons qu’elle fait se coucher côte à côte dans le sable.
Voici qu’arrive enfin Protée : il compte ses phoques en commençant par les quatre intrus, se couche et s’endort. Ménélas et ses compagnons se précipitent sur lui en hurlant et l’encerclent dans leurs bras. Commence alors le cycle des métamorphoses, car Protée n’a rien oublié des ruses de son art : lion à crinière, dragon, panthère, porc géant, eau courante et, enfin, grand arbre à panache.
Mais, comme convenu, ses adversaires tiennent bon. Protée, vaincu, répond alors à la question de Ménélas : c’est Zeus qui, une fois honoré, permettra à Ménélas de rejoindre sa patrie.
Protée incarne ainsi le paradoxe d’un univers instable et inquiétant, labile, en un mot « protéiforme », qui se place sous le signe de la transformation, de la ruse et de l’illusion, mais aussi de la vérité prophétique dont l’homme en quête de sagesse doit s’emparer par la violence et par la contrainte. Image de la matière informée par les idées, visage ambigu d’une humanité plurielle ou voix des aspirations démiurgiques du texte littéraire qui nourrit le dessein secret de restituer la totalité du monde, Protée est considéré comme un symbole de la connaissance cachée et de la sagesse.
C’est pour cette capacité d’adopter n’importe quelle forme et n’importe quelle identité que Protée est associé aux avatars des mondes numériques.
Les Avatars
L’utilisation des avatars remonte à la fin des années 1980, lorsque les premiers jeux vidéo en ligne ont commencé à apparaître. Les avatars étaient alors des personnages de jeu qui représentaient les joueurs. Il s’agissait généralement des personnages de dessins animés ou de jeux vidéo.
Au cours des années 1990, les avatars sont devenus plus élaborés et ont commencé à être utilisés dans des jeux vidéo en ligne plus complexes. Les avatars étaient alors des personnages virtuels qui pouvaient être personnalisés par les joueurs. Ils pouvaient être habillés, décorés et même animés.
Au début des années 2000, ces avatars ainsi personnalisés ont commencé à être utilisés dans les réseaux sociaux et sur les forums en ligne.
Aujourd’hui, les avatars peuvent prendre la forme de photos, de dessins ou d’images de personnages de jeux vidéo. Ce peut être également des robots, des animaux ou des créatures fantastiques.
Un avatar peut être créé ex nihilo ou acheté, par l’intermédiaire de NFT, en choisissant par défaut comme le proposent certaines plateformes, ou en créant son personnage à partir du catalogue de sociétés spécialisées sur internet. Sa représentation peut être photo-réaliste (proche de la réalité), en voxel art (pixel avec du volume), ou sous d’autres formes existantes ou à venir. Cet avatar peut être éloigné du physique de son créateur, le métavers offrant la possibilité d’être la représentation de son choix. Par exemple, un joueur peut choisir de créer un avatar qui ressemble à un être humain, mais qui peut se transformer en une créature mythique, en un animal ou même en une machine.
Aux côtés des avatars, existent aussi des PNJ (ou personnages non joueurs). Ce sont des robots – des bots – qui peuplent un espace et qui peuvent être dotés d’un programme qui leur permet d’interagir avec un « visiteur », sans intervention humaine. Les futurs PNJ enrichis grâce à l’intelligence artificielle pourront si bien faire illusion que l’on ne saura distinguer s’il y a réellement quelqu’un qui pilote l’avatar.
L’avatar est ainsi la manifestation la plus spectaculaire des vertus démultiplicatrices de la virtualisation et, de ce fait, un excellent support pour comprendre comment se construit le Moi dans un monde d’identités multiples. Il incarne en effet parfaitement les trois potentialités complémentaires des mondes virtuels : l’immersion, la transformation et la rencontre d’autres utilisateurs incarnés par leurs propres avatars. L’immersion correspond au pouvoir qu’ont les images de créer un espace d’illusion dans lequel nous sommes invités à entrer, et qui va totalement nous immerger. Or, le temps du jeu dans le métavers, l’avatar devient le joueur et le joueur devient son avatar. Cela est d’autant plus vrai que pour accéder au métavers, il existe de nombreux accessoires permettant de ressentir tout ce qu’il s’y passe : casque englobant le champ de vision des participants, garantissant une expérience 100 % immersive ; micro équipé d’un logiciel d’édition vocale qui permet d’échanger des propos avec d’autres avatars ; combinaison haptique dotée de moteurs vibro-tactiles qui font ressentir physiquement à l’utilisateur tout ce que son avatar est susceptible d’éprouver ; gants intégrants des moteurs de retour de force ; diffuseur programmable de fragrances et de parfums par vaporisation d’un jet odorant dont la fréquence, la durée et la force sont programmables ou pilotables par cellule. etc…
L’effet Proteus
Les environnements virtuels offrent la possibilité de vivre de nouveaux types d’interactions sociales, caractérisées notamment par la désindividuation et la capacité à jouer avec l’image de soi. Cela entraîne une transformation personnelle du joueur qui s’identifie à son personnage. C’est ce que l’on appelle l’effet Proteus. Il s’agit d’un phénomène psychologique qui se produit lorsque nous nous approprions la personnalité de l’avatar que nous avons créé dans le monde virtuel, et qui nous dicte un comportement conforme à ce que cet avatar représente pour les autres. Il s’agit de nous conformer au personnage attendu par les autres participants du métavers, et non d’être nous-mêmes.
L’effet Proteus met en évidence la nature fluide et malléable de l’identité humaine et souligne l’influence de l’environnement virtuel sur le comportement individuel : l’avatar renvoie une image à son créateur, et celui-ci se conformera peu ou prou à cette image dans la vie réelle. Dans la vie courante, notre perception de la réalité change en fonction des différents contextes dans lesquels nous évoluons. Par exemple, notre appréciation d’une personne ou d’une situation peut être différente en fonction de l’endroit où nous nous trouvons, de notre humeur ou de notre état émotionnel. Il en va de même dans le monde virtuel, à cette différence près que là, tout nous est permis : tous les délires, toutes les audaces, tout ce que nous n’osons pas faire dans le monde réel. L’effet Proteus va se manifester dans la façon dont nous nous percevons nous-mêmes dans le monde virtuel, ce qui va influencer notre comportement dans la vie de tous les jours.
Jeremy Bailenson, l’un des meilleurs experts mondiaux de la réalité virtuelle, a émis une hypothèse dite de l’auto-perception, selon laquelle notre propension à nous projeter dans un avatar serait intégrée à notre cerveau comme une extension de nous-mêmes. L’effet Proteus pourrait aussi jouer le rôle d’un stimulus qui activerait des schémas conceptuels préexistants : dans un corps athlétique, je me sens en forme. Pour certains chercheurs, cela pourrait même entraîner une diminution de la conscience de soi, une sorte de perte d’identité, comme dans les phénomènes de foule. A l’inverse, d’autres suggèrent que l’effet Proteus peut avoir une influence positive sur nos comportements et nos décisions, en ce qu’il peut stimuler notre intelligence émotionnelle, et donc nous permettre d’optimiser nos comportements en société.
D’une manière générale, il s’agit d’un phénomène par lequel les comportements et attitudes d’un individu sont influencés par les caractéristiques de l’avatar qui le représente dans un environnement virtuel. Lorsque vous incarnez un avatar particulier, les spécificités de ce personnage peuvent vous conduire à vous comporter et vous exprimer différemment.
En 2007, des chercheurs de l’Université de Stanford ont mené une étude dans le monde virtuel Second Life. Ils ont créé deux types d’avatars pour les participants :
- Avatar attrayant : Un avatar avec des traits physiques considérés comme beaux et attirants. Il avait une apparence soignée, des vêtements élégants et une posture
confiante. - Avatar non attrayant : Un avatar avec des traits physiques moins attrayants, des vêtements simples et une posture moins assurée.
Expérience :
Les participants ont été invités à interagir avec d’autres avatars dans un environnement social virtuel. Ils ont été répartis aléatoirement en deux groupes : l’un avec l’avatar attrayant et l’autre avec l’avatar non attrayant.
Résultats :
- Les participants avec l’avatar attrayant ont montré un comportement plus sociable et amical. Ils ont initié davantage de conversations et ont été plus ouverts aux interactions avec les autres avatars.
- En revanche, les participants avec l’avatar non attrayant ont été plus réservés et ont évité les interactions sociales. Ils se sont sentis moins à l’aise pour engager des conversations.
Cette étude démontre que l’apparence de notre avatar peut influencer notre comportement dans les environnements virtuels. L’avatar attrayant a agi comme un catalyseur social, encourageant les interactions positives, tandis que l’avatar non attrayant a eu un effet inhibiteur.
Les PNJ
A l’avenir, un agent conversationnel, un PNJ doté d’intelligence artificielle, sera sans doute capable d’initier un processus de confirmation comportementale. Jouant le rôle d’observateur par rapport à l’utilisateur cible, cet agent pourra influencer les comportements de ce dernier : par exemple, l’inciter à se montrer plus sympathique, ou le stimuler pour qu’il obtienne de meilleures performances (reproduction de l’effet Pygmalion en environnement virtuel).
Les DeadBots
L’avatar ultime est le « deadbot ». C’est un avatar numérique qui représente une personne décédée dans le monde réel. Il peut être utilisé dans le métavers pour permettre à un proche de communiquer avec le défunt, de l’honorer, voire de les garder en vie dans un environnement virtuel. Les deadbots peuvent être programmés pour reproduire la personnalité de la personne décédée de la manière la plus fidèle, ce qui peut aider les gens à se souvenir de lui ou à faire leur deuil.
L’utilisation des deadbots dans le métavers soulève plusieurs questions philosophiques.
Tout d’abord, sur la nature de l’identité et de la personnalité : les deadbots sont programmés pour imiter les personnes décédées, mais dans quelle mesure peuvent-ils vraiment représenter leur personnalité et leur identité ? Ne risquent-ils pas de décevoir ? Cela pose également des questions sur la nature de la vie et de la mort, et sur la façon dont nous traitons la mort dans notre société. Les deadbots peuvent-ils aider les gens à faire leur deuil et à se souvenir de leurs proches décédés ou au contraire, n’y a-t-il pas un risque d’attachement morbide au disparu, au détriment de la vie réelle ?
Cela soulève des questions sur la façon dont nous utilisons la technologie pour gérer notre douleur et notre chagrin, et sur les limites éthiques de cette utilisation. Ces questions sont importantes à considérer, car elles ont des implications pour la compréhension de nous-mêmes en tant qu’êtres humains, et pour notre relation avec la technologie.
Identités multiples
Les évolutions technologiques considérables, la démocratisation des espaces virtuels et des dispositifs d’immersion permettent à un plus grand nombre de personnes d’interagir quotidiennement en environnement virtuel, dans des situations ludiques mais aussi professionnelles. Ainsi, la compréhension des processus qui sous-tendent les interactions médiatisées par des avatars constitue un enjeu majeur pour appréhender nos futurs comportements sociétaux lorsque le métavers se sera généralisé.
Nous constatons déjà que l’Internet et le téléphone portable ont engendrés des changements profonds dans nos comportements et notre façon d’appréhender le monde ; qu’en sera-t-il de l’action des processus immersifs de la réalité virtuelle, qui va bouleverser nos comportements en société ?
Nous serons confrontés à un dilemme : d’une part, nous serons libres de concevoir l’avatar que nous voudrons et qui sera le reflet de ce que nous projetons dedans, mais qui aura aussi une influence sur nous ; d’autre part, nous serons sans doute contraints de concevoir des avatars adaptés aux usages et aux objectifs de nos environnements (socialisation, apprentissage, travail de groupe, divertissement, etc.). Nous serons amenés à arbitrer entre ces différents avatars, à les cloisonner, et donc à développer des identités virtuelles multiples. Le métavers, en tant que dispositif technique émergent, offre un terrain fertile pour le symbolisme et pour l’exploration de nouvelles significations. Les portails virtuels dans le métavers peuvent figurer le passage entre différents mondes, dimensions ou états de conscience. Ils représentent la transition, l’exploration et la quête de nouvelles expériences. Les avatars, en tant que représentations numériques de soi-même, portent un symbolisme puissant. Ils matérialisent la dualité entre notre existence physique et notre existence virtuelle.
Symbolisme
Les architectures virtuelles dans le métavers se prêtent à l’emploi de figurations matérielles qui constituent autant de projections allégoriques : une tour pourra symboliser la recherche de la connaissance, tandis qu’un labyrinthe représentera la quête de soi.
Les objets et les symboles ont toujours été porteurs de sens. Dans le métavers, ces artefacts peuvent avoir des pouvoirs spécifiques ou symboliser des capacités cachées. Ils peuvent également représenter des aspects de notre psyché ou de notre quête personnelle. Les éléments naturels, tels que l’eau, le feu, la terre et l’air, peuvent être réinterprétés dans le métavers. Par exemple, un océan virtuel pourrait symboliser l’infini ou l’inconnu.
Le métavers repose sur la technologie et la cryptographie. Les codes, les clés et les énigmes peuvent symboliser la recherche de sens cachés. Les mystères à résoudre dans le métavers peuvent refléter les énigmes de la vie réelle.
Le symbolisme comme projection de croyances sur des formes, des objets, des éléments naturels, est consubstantiel à l’esprit humain. Il émerge du contexte culturel, de l’expérience individuelle et de l’imagination collective.
En effet miroir au monde réel, le métavers offre un espace où ces symboles peuvent fusionner, se réinventer et prendre de nouvelles significations. Les avatars dans le métavers sont des symboles, qui représentent l’identité numérique de l’utilisateur. Tout comme nous utilisons des symboles pour communiquer des idées complexes, les avatars expriment symboliquement l’identité et la personnalité de ceux qui les conçoivent, comme nous avons pu le voir à travers l’effet Proteus.
Communautés
Les mondes virtuels du métavers offrent des communautés où les avatars interagissent, partagent des expériences et construisent des liens. Ces communautés expérimentent les possibilités offertes par le métavers, notamment par la création de collections DAO et de NFT.
DAO est un acronyme pour « Decentralized Autonomous Organization ». Il s’agit d’une organisation autonome décentralisée fonctionnant dans le monde virtuel grâce à la technologie Blockchain, et qui favorise un système de gouvernance participatif : ce dernier permet aux membres de voter sur la direction de leur entité.
Cui Bono
Le métavers est actuellement détenu par de grandes sociétés, les « Sept Fantastiques », qui regroupe les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft) auxquels sont venus s’ajouter Nvidia et Tesla, aussi puissantes, voir plus puissantes pour certaines que les Etats. Aujourd’hui, fortes de leur puissance acquise, elles sont en train de créer le monde qu’elles veulent, et dans lequel ce sont les utilisateurs qui vont devoir s’adapter, si ce n’est en devenir les esclaves, sous forme d’une addiction à leurs produits dans le monde virtuel.
Conclusion
Pour revenir au rapport entre l’individu et l’influence du métavers, l’effet Proteus est un phénomène psychologique qui se produit lorsque notre perception de la réalité est influencée par le personnage que nous avons créé, notre avatar. Mais l’effet Proteus ne joue-t-il pas aussi lorsque nous jouons un personnage dans nos relations sociales ? Nous adoptons différents styles vestimentaires en fonction de l’occasion ou de l’endroit dans laquelle nous sommes. Nous pouvons aussi être amenés à ajuster notre langage, le ton de notre voix ou nos expressions faciales pour correspondre à ceux de nos interlocuteurs.
Cet effet est souvent considéré comme un mécanisme d’adaptation sociale, permettant aux individus de s’intégrer et de s’ajuster aux attentes de leur environnement. Cependant, il peut également soulever des questions sur l’authenticité et la sincérité de la personne, car elle peut sembler changer de manière superficielle pour se conformer aux autres.
L’émergence du métavers, mais aussi de l’intelligence artificielle, ainsi que la perception de l’effet Proteus, nous incitent à nous interroger sur les différentes implications que cela pourra avoir. Des implications relatives au fonctionnement de nos sociétés futures…
Finalement, le concept de métavers nous amène à nous poser une question fondamentale :
Comment savoir si notre réalité est bien LA réalité ?
Selon l’hypothèse de Nick Bostrom, professeur de philosophie à l’université d’Oxford et éminent représentant du transhumanisme, il existe 20 % de chance que nous ne soyons qu’une simulation informatique initiée par une entité d’un niveau de développement supérieur à celui de l’espèce humaine.
- Sommes-nous qu’une expérience sociétale d’une autre civilisation plus avancée ?
- Ou ne sommes-nous qu’un maillon d’une série de mondes imbriqués comme imaginé en 1964 par Daniel Galouye dans son roman « Simulacron 3 » ?
- Comme dans la série de films « Matrix », sommes-nous finalement que des simulations numériques aux mains d’une l’intelligence artificielle si avancée qu’elle nous aurait dotés d’une conscience ? Si oui, dans quel but ? La matrice se sert-elle de ce stratagème pour exploiter l’énergie corporelle des gens qu’elle fait vivre dans sa réalité virtuelle ?
- En sommes-nous réduit à être utilisés en tant que source d’énergie pour alimenter le « successeur », que Jean-Michel Truong, autre théoricien du transhumanisme, définit ainsi : « forme de vie nouvelle susceptible de prendre la suite de l’Homme comme habitacle de la conscience » ?
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- Thouvenin Indira et Lelong Romain (2020) – La réalité virtuelle démystifiée : Principe – InterfacesApplications – Perspectives, Éditions Eyrolles, 184 p.
- Tisseron Serge (2012) – La thérapie par l’avatar, in : Rêver, fantasmer, virtualiser, pp. 113-128
- Truong Jean-Michel (1999) – Le successeur de Pierre, Pocket, 6 décembre 2004, Pocket thriller, 598p.
- Truong Jean-Michel (2001) – Totalement inhumaine, ed. Les empêcheurs de penser en rond/Le Seuil, septembre 2001, 219 p.
- Van Heems Gilles (2019) – Dieux et héros de la mythologie grecque, Librio; Enlarged édition, 112 p.
- Weinbaum Stanley G. (1935) – Les lunettes de pygmalion (Pygmalion’s Spectacles), in Les meilleurs récits de Wonder Stories (1976), anthologiste Sadoul Jacques, J’ai Lu, Science-fiction n° 663, 1976, pp 223-252