Ptah/Héphaïstos et les mécatroniques
« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu.
Elle était au commencement avec Dieu.
Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. »
C’est avec ces premiers versets du prologue de l’Évangile selon Jean, traduit en 1910 par Louis Segond, que pourrait se traduire le mythe de la création par le démiurge Ptah. L’Évangile Johannique, dans un raccourci saisissant, affirme que « le Verbe (ou le Logos) était Dieu ». Par extension, le logos désigne aussi l’intelligence. Plus précisément la faculté de discernement, en ce sens que c’est en nommant les phénomènes que l’être humain acquiert la connaissance rationnelle. Discerner, dont l’étymologie ramène au verbe « séparer », c’est littéralement « choisir », « décider », « juger ». C’est en cela que le langage constitue l’instrument privilégié de l’intelligence humaine, le principal outil de communication, mais également celui par lequel s’exerce notre capacité à interpréter le monde manifesté. Cependant, Saint Ignace d’Antioche parle du « Verbe sorti du Silence ». Ainsi le Silence peut être le Principe : La Parole n’existe que par le Silence, comme elle le manifeste également. Le Silence dont il est question est donc « Archétype », il est le « Principe » de la « Parole »… signifiant de la sorte que l’esprit humain ne peut dissocier l’organisation spatio-temporelle de l’Univers et le mystère de son origine sans attenter à l’Existence elle-même.
Ptah est le dieu créateur par excellence : Il est considéré comme le démiurge qui a existé avant toute chose, et qui, par sa volonté, a pensé le monde. Il a créé l’univers, les dieux, les êtres et les choses, non par des moyens matériels ou humains, mais par l’esprit, par l’intelligence et la parole, fonctions dépendant de deux organes essentiels : le cœur, qui conçoit toute pensée, siège de la sensibilité, centre moteur de l’être, et la langue qui, en prononçant un mot, donne réalité à l’existence de ce que celui-ci exprime, et concrétise ce que le cœur a pensé et voulu. Ce que Ptah a ordonné a été créé ; en lui les constituants de la nature, faune et flore, sont contenus. Le mécanisme de cette création intellectuelle nous est connu grâce à un texte retrouvé sur la stèle, dite, de Shabaka. Aussi, différentes qu’elles puissent paraître, les cosmogonies égyptiennes ont un principe commun : l’énergie du Noun précède et alimente l’Univers symbolisé par la Barque de Rê. Cette énergie s’incarne dans le démiurge qui s’est créé lui-même, qui a pris forme sur le tertre issu de l’océan primordial, le Noun, l’abyssus, le chaos, puis qui a mis en marche la machine cosmique, avant d’engendrer les éléments constitutifs de la création. Il s’y meut et il le régularise, il en distingue les parties élémentaires ; il donne naissance à tout ce qui existe, il fabrique le ciel et la terre, les dieux et les hommes. Ainsi, il opère comme un véritable démiurge, exerçant une action volontaire et raisonnée sur la matière encore informe.
En cela, Ptah le démiurge ne peut être rapproché du Ein Sof de la Kabbale. Malgré que certains cabalistes modernes aient réussi, à force de sophismes et de paradoxes, à en faire un « Dieu Suprême », le Ein Sof n’a jamais été considéré comme le « Créateur ». Cela est prouvé même par des juifs aussi orthodoxes que Philon, appelant le « Créateur » le Logos, qui vient juste après l’« Un sans Limite » et le « Deuxième Dieu ». « Le Second Dieu est sa sagesse (de l’Ein Sof) » dit Philon. Le Ein Sof pourrait se rattacher au Noun. Ptah peut alors représenter l’Ein Sof Aur en se positionnant entre l’Ein Sof et la première Sephirah ; Kether, la Couronne. Il importe de ne pas confondre Kether avec Dieu. Kether est émanation et représentant du Pouvoir divin, jamais Dieu lui-même. Ptah serait donc la Lumière sans Limite qui rayonne de la tête de l’Adam Kadmon, qui s’organise en figures complexes en se concentrant dans la première Sephirah. Certaines de ces figures prennent la forme de lettres, cependant que d’autres revêtent des aspects de la Torah ou de la Langue Sainte tels que les signes de cantillation, les points des voyelles, ou les signes de liaison, qui sont aussi des composantes de l’Écriture sainte. De sorte que se rejoignent ici deux symbolismes radicalement différents : celui de la lumière et celui du langage et de l’écriture.
Pour la recherche contemporaine, tout a commencé il y a 13,7 milliards d’années. En une incroyable « extension » d’une durée infinitésimale, l’Univers jaillit, libérant une énorme quantité de matière et d’énergie. C’est le Big Bang. À partir de ce moment-là l’Univers grandit, se transforme et évolue. Pour expliquer ce qu’il a pu se passer dans les tous premiers milliardièmes de seconde, les scientifiques ont recours a différentes théories telles celle des cordes, des super-cordes et de la théorie M. Celles-ci partent de l’hypothèse que toutes les particules résultent de différents mode de vibration de cordes ou de branes. Ce sont les différentes formes de vibrations de ces cordes, ou branes, qui constitueraient à la fois la matière et l’énergie qu’elles renferment. En ce sens, Ptah peut être considéré comme la brane primordiale. Celle qui, en vibrant, telles les cordes vocales, rentra en résonance avec les branes environnantes, libérant ainsi une énergie gigantesque, et firent naitre l’Univers dans lequel nous évoluons, constitué de branes ayant conservé la vibration primordiale de Ptah. On peut rapprocher cette hypothèse spéculative de la théorie holographique pour laquelle les lois physiques sont différentes à l’intérieur d’un volume et à sa surface, mais néanmoins équivalentes par projection holographique Ainsi notre Univers serait un hologramme où la physique du bord serait la physique quantique, et la physique de l’intérieur ferait apparaître, dans une sorte d’illusion, la force de gravitation. Un univers holographique est caractérisé par un espace-temps à courbure négative dont le bord est un espace-temps plat. Dans ce schéma, le bord de l’univers serait le Ptah memphique, dont la voix créerait la vibration des branes, qui constitue l’intégralité des phénomènes physiques que nous connaissons, y compris la gravitation.
La conception cosmogonique de Ptah comme étant le créateur de tout ce qui existe prend ses racines dans le sol même où s’est accomplie une des premières systématisations du dogme : la ville de Memphis, première ville royale, cité de Mena. Il est possible que Ptah, patron des artisans, commence à apparaitre dans la culture de Nagada I aux environs de 3800 B.C. A cette période, les sociétés commencent à se hiérarchiser. À côté des pasteurs-agriculteurs, apparaissent des artisans spécialisés dans la poterie, mais aussi dans le travail de la pierre. Les premiers essais de faïence égyptienne attestent de la maîtrise des techniques du feu. Son existence est attestée dans la culture suivante, Nagada II ou Gerzéen, vers 3650 B.C. Le nom de Ptah, tire son origine du vieux mot ptA, qui se retrouve dans les langues sémitiques avec la valeur : ouvrir, et bâtir, suivant les dialectes, mais seul le dernier sens a été conservé. Ptah est donc celui qui ouvre, ou plutôt celui qui bâtit, qui fabrique. De là son titre de père ou maître des travaux, Dieu des artisans, et la mention de Hâ-t nub, demeure de l’or ou de la fonte, et le titre de son premier prophète : grand maître des travaux de construction ; toutes désignations qui conviennent au mieux avec l’idée du démiurge, de celui qui le premier a mis l’univers en ordre. Ptah est bien la divinité initiale, le dieu primordial qui, dans la pensée des premiers Memphites, a précédé l’apparition du dieu soleil, Ra, lequel est devenu plus tard le centre de la théologie officielle. Ce créateur auquel l’ensemble du cosmos doit son existence n’est pas un dieu supérieur aux autres, il n’est que le dieu créateur. Il peut se nommer Ptah, Rê, Amon ou Atoum, selon la Corporation divine du nome (ou district) où il se trouve, dès lors qu’il est adoré comme dieu créateur. Lors de la 4eme ou 5eme dynastie, le concept de l’Ennéade remplace celui de la Corporation divine et évoque la constitution de l’univers et les premières générations issues du dieu créateur. Atoum est le dieu issu des eaux du Noun, le chaos originel. Grâce à ses enfants Chou et Tefnout, Atoum devient Rê le soleil. De ces deux jumeaux naît la génération suivante, Geb la terre et Nout le ciel, dont sont issus Osiris et Isis, ainsi que Seth et Nephtys. La conviction des anciens Egyptiens était qu’un dieu créateur, quel qu’il soit, se devait d’avoir conçu tout ce qui existait. Le dieu créateur est donc à l’origine de l’existence des dieux qui, dans la cosmogonie égyptienne, sont des puissances du seul monde existant. Le fait de devoir créer tous les dieux est inhérent à la nature du dieu créateur, et la déclaration affirmant qu’il en fut bien ainsi nous renseigne de manière décisive sur l’essence des dieux : ils ont un commencement qui coïncide avec le début du monde ordonné.
Comme beaucoup de divinités de l’Égypte antique, Ptah peut revêtir diverses formes, soit qu’il s’agisse d’un de ses aspects particuliers, soit qu’il ait absorbé par syncrétisme d’anciennes croyances de la région memphite. Dès l’Ancien Empire, il prend les apparences de Sokaris et de Taténen. Sous sa forme de Sokaris, il est représenté enserré dans un linceul blanc soit hiéracocéphale soit androcéphale, coiffé de la couronne atef, attribut d’Osiris. Sous sa forme de Taténen, il est symbolisé en homme jeune et vigoureux, coiffé d’une couronne à deux hautes plumes qui encadrent un disque solaire. Il incarne alors le feu souterrain qui gronde et soulève la terre. En cette qualité, il est particulièrement révéré par les métallurgistes et les forgerons, mais il est également craint, car c’est lui qui provoque les tremblements de terre. Enfin, Ptah peut aussi prendre la forme du taureau sacré Apis. Héraut de Ptah, il en est aussi son bâ. Mais Ptah est généralement représenté sous les traits d’un homme debout à la peau verte, arborant la barbe divine, tête rase, et portant parfois une courte calotte de couleur bleue. Le bleu est la dimension divine de l’être. C’est la couleur d’Enki, un bleu royal, profond. Le bleu est l’infinité du cosmos. Son corps est enveloppé dans une gaine blanche, des rubans pendant le long du dos ; de la gaine, sortent seulement les bras tendus, les mains tenant le sceptre royal ouas, branche sur un tronc éternel, qui se dédouble en deux nouvelles branches, symbole de la dualité, du mal, de Seth, mais aussi de la merveille infinie de la création du monde et des formes. S’ajoutent en superposition, le signe de vie ânkh et le pilier djed, principe de stabilité, constituant les quatre Eléments, les quatre piliers de l’Univers sur lesquels repose l’existence dans le monde de la manifestation du Verbe créateur. Les trois symboles combinés indiquent les trois pouvoirs créateurs du dieu : la puissance (ouas), la vie (ânkh) et la stabilité (djed). Le corps est représenté de profil, les deux jambes sont jointes, enserrées dans la gaine dont il est revêtu. Cette dernière pourrait être l’imy-out, cette peau d’animal qui enveloppe les morts pour leur permettre de renaître régénéré. Cette représentation statique symbolise précisément un Dieu ayant un rapport avec la mort. Il incarne le dieu des nécropoles de Saqqarah où furent érigées les pyramides royales. La gaine qui l’enserre évoque l’écorce de l’arbre, qui recèle le pouvoir créateur toujours renouvelé de la végétation, ainsi communiqué à Ptah. Symbolisme qui se retrouve dans la couleur verte de la peau.
Le vert se trouve au centre du spectre de l’arc-en-ciel décomposé traditionnellement en sept couleurs. Equidistant du bleu céleste et du rouge infernal, tous deux absolus et inaccessibles, le vert, valeur moyenne, médiatrice entre le chaud et le froid, le haut et le bas, est une couleur rassurante, rafraîchissante, humaine. Nous nous trouvons en présence de deux séries de couleurs, départagées par le vert, soit une tripartition qui correspond aux trois mondes des cosmogonies archaïques et antiques. La gamme des jaune-orangé-rouge représente le Ciel, le Soleil, le monde ouranien ; la gamme des bleu-indigo-violet représente les mondes souterrains, les eaux primordiales, l’intérieur de la Terre-Mère, l’utérus, le monde chthonien encore appelé Enfers. Enfin, le vert correspond à la Surface de la Terre avec sa végétation, c’est-à-dire à l’Entre-deux. Jaillissant d’une graine desséchée, le miracle vert attire ensemble l’eau, la terre et la lumière dans une alchimie invisible pour faire naître une nouvelle végétation verdoyante. Ce mystère des plus sacrés, dont dépend notre survie, a été imaginé depuis des temps infinis sous la forme d’un être divin qui revêt souvent une peau verte. Ainsi, Ptah pouvait sembler mourir mais revenait ensuite à la vie plein de vigueur, à l’exemple des plantes qui germent, bourgeonnent et éclosent au printemps.
En héraldique, le vert est adopté comme symbole d’honneur par les chevaliers, impliquant une transformation du bien en mal, puis en bien de nouveau, et utilisant à la fois les connotations de pourriture et de régénération de la couleur verte.
Dans l’Égypte ancienne, le vert symbolisait la croissance et la vie elle-même ; l’expression « faire des choses vertes » désignait des actions positives et génératrices de vie, par opposition aux « choses rouges » qui étaient maléfiques.
Les Alchimistes, dans leur recherche de la résolution des contraires, définissent leur feu secret, esprit vivant et lumineux, comme un cristal translucide, vert, fusible comme la cire ; c’est de lui, disaient-ils, que la nature se sert souterrainement pour toutes choses que l’Art travaille, car l’Art doit se borner à imiter la nature. Ce feu est bien celui qui résout les contraires : on dit qu’il est aride, mais aussi qu’il fait pleuvoir, qu’il est humide, mais qui toujours dessèche. Et finalement, dans tous les ésotérismes, le principe vital lui-même, secret des secrets, apparaît comme un sang profond, que contient un récipient vert. C’est, pour les alchimistes occidentaux, le sang du Lion Vert qui est l’or, non du vulgaire mais des philosophes. Il symbolise le dissolvant universel ; l’Alkaest, fruit vert et acerbe, comparé au Lion Rouge, fruit mûr et objet du corps à dissoudre. Il s’agit en fait du V.I.T.R.I.O.L ; Visita Interiora Terrae Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem, considéré aussi comme « le seul corps immonde, mais qui permet de joindre les teintures entre le soleil et la lune ». La formule V.I.T.R..I.O.L prend sa source et son sens dans les philosophies alchimistes hermétistes du Moyen Age et de la Renaissance qui spéculaient la transformation des métaux vils en métaux nobles au moyen de la pierre philosophale. L’incertitude dans l’interprétation de V.I.T.R.I.O.L est liée aux évolutions de transcription à travers les siècles. Ainsi, les traductions de V.I.T.R.I.O.L introduisent les notions d’oleum lipidum en lieu et place de occultum lapidem et de « distillant » en lieu et place de rectifiant. Dans cette acception, le V.I.T.R.I.O.L s’entend comme une substance chimique, l’huile de vitriol, concentré d’acide vitriolique. La recherche de la pierre occulte est éludée au profit de l’huile de vitriol considérée par les alchimistes comme la panacée, élixir de vie, au service de la médecine universelle. « Explore l’intérieur de la terre et, en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée ». Il faut, bien sur, comprendre la phrase dans son sens allégorique, car elle indique un processus de purification à la fois humain et cosmique au cours duquel le bas et l’intérieur doivent s’élever vers les régions de l’esprit, vers le Spiritus Mundi (esprit du monde). Celui-ci se manifeste toujours par la couleur verte, comme en témoignent les récits sacrés et les mythologies de tous les peuples. Il féconde le sel des sages qui devient vert et végétatif. Le vert symbolise ainsi le lien qui unit l’esprit à la matière par les paroles d’Hermès Trismégiste : « C’est la couleur verte qui recouvre la terre, car elle absorbe la lumière du soleil pour la transmettre à la terre, pour fixer l’esprit ». Ainsi, la couleur verte de la table d’émeraude indique que les secrets de l’alchimie sont contenu dans l’intelligence de l’agriculture au point de vue spirituel et initiatique. Le disciple qui sait planter des graines de lumière en lui-même et qui prend le soin de les cultiver selon l’art de l’agriculture spirituelle, est un alchimiste, il comprend le secret de la couleur verte, de l’esprit d’éternité qui travaille dans le temps ; il conclut une alliance consciente avec l’intelligence cosmique et travaille pour élaborer en lui la pierre philosophale, la perfection absolue. Ptah, au sein de la Triade Memphite, accompagné de Sekhmet et de Nefertoum, réalise ainsi le projet de Nebhet dont les larmes corrompent et assurent la putréfaction, pour donner la vie, évoquant alors la fonction de digestion de son fils Anpu, le gardien des portes de la Douat, l’Ouvreur des chemins. C’est ainsi que Ptah expérimente et enseigne la deuxième phase du Grand Œuvre Alchimique, « l’Œuvre au Blanc », l’Œuvre, que le Maître de Sagesse, le Grand architecte Imhotep transmet, en cette ère du Taureau. C’est en acceptant l’union de l’Esprit et de la matière que son Intuition éclaire son Esprit créateur, constructeur.
Dans la symbolique zodiacale, l’Ere du Taureau s’étend de 4200 B.C. à 2000 B.C. Dates qui correspondent à l’émergence de l’incarnation de Ptah ; Apis. C’est un signe de Terre, avec le passage des civilisations à l’agriculture, à l’artisanat, la métallurgie du cuivre qui est le métal de Vénus, maître du Taureau, puis du bronze.
Au fil des siècles, Ptah verra sa forme se modifier. Certains aspects curieux de la religion égyptienne peuvent s’expliquer par des influences venues d’autres civilisations de la Méditerranée. Hérodote rapporte que dans le temple de Memphis, la statue cultuelle du Dieu était tout à fait semblable aux Patèques phéniciens, c’est-à-dire qu’il s’agissait de l’image d’un nain. On possède à partir de la « période grecque », de très nombreuses représentations de nains qualifiés de Ptah. Il est probable que ce dieu nain, Ptah-Patèque, n’était pas la principale représentation cultuelle du dieu à Memphis ; du moins, il n’était pas son unique image. Les Patèques, c’est-à-dire les nains pathologiques, étaient employés dans l’Égypte pharaonique comme artisans, spécialisés dans le travail des bijoux. Ceci explique qu’ils soient devenus compagnons de Ptah, le dieu-orfèvre. Ptah avait en effet hérité cette fonction de Sokaris, avec qui il avait été identifié. Pour les mêmes périodes, en Asie mineure et dans les iles Lipari, existe une entité considérée comme l’ancêtre de divinités chtoniennes. Elle était primitivement représentée sous la forme d’un nain. Sur l’ile de Lemnos, et plus globalement sur l’Archipel Thrace, elle sera associé aux Cabires ; démons phalliques et objets d’un culte particulier. Ce sont de mystérieuses divinités dont le principal sanctuaire se trouvait à Samothrace. Elle rentre dans le monde religieux hellénique avec comme caractéristique dominante l’idée d’« allumer le feu ».
Plus tard, au VIIème Siècle B.C., une colonie de Cariens, originaires d’Asie Mineure, travaillant entre les murs blancs de Memphis, dans un syncrétisme parfait associèrent le neter des artisans, Ptah, à cette divinité qui lui ressemblait beaucoup ; Héphaïstos. L’étymologie obscure de ce nom peut suggérer que celui-ci serait, à l’origine, un dieu préhellénique. Ces Cariens seront sans doute aussi à l’origine de la « grécisation » du nom même de Ptah. Les Grecs ont prononcé son nom Pta, c’est-à-dire sans le son H. Ce fait a dû avoir une influence sur la prononciation égyptienne du nom du dieu à l’époque grecque, car on possède, pour Karnak et Dendara, des graphies du dieu sans le son H. Dans le cas de Ptah, comme dans celui de Sérapis ou de Mithra, c’est l’aspect même du dieu qui aurait été fourni par la Grèce, tandis que pour Isis, il s’agissait seulement d’une « grécisation » de son iconographie. Plus tard, Héphaïstos se retrouvera chez les Etrusques, où il portera le nom de Velch, et chez les Romains, sous le nom de Vulcain.
Selon les Grecs, Héphaïstos serait né de la colère d’Héra contre son époux ! Colères qui se présentaient sous forme d’orages violents et d’éclairs. N’est-ce pas, en effet, sous la forme d’un éclair, que Ptah enfanta la vache divine, donnant ainsi naissance à son double taurin Apis ? Héphaïstos était boiteux. Il doit cette infirmité à Zeus qui le précipita au bas de l’Olympe. L’origine de sa blessure peut s’expliquer par les rituels initiatiques de type chamanique : comme d’autres dieux-magiciens, il aurait payé sa science de forgeron et d’artisan par sa mutilation physique. Plus qu’un dieu du feu, c’est un dieu des travaux impliquant la « maîtrise du feu », autrement dit d’une forme spécifique et plutôt rare de magie. L’estropié, le difforme, se reconstruit lui-même quotidiennement dans le monde souterrain où couve le feu sacré. Mais il est surtout renommé pour l’habileté de ses mains et il est adoré, conjointement avec Athéna, par tous les artisans, qui ne pourraient vivre si le feu n’avait été domestiqué.
Héphaïstos, lorsqu’il est sous terre, symbolise le soleil d’hiver, dont la plus grande partie de la course se situe sous la ligne d’horizon. La claudication est commune à bien des génies du feu chez différents peuples, notamment chez les Kobolds scandinaves ou germaniques, et s’explique par l’aspect vacillant et sans cesse changeant de la flamme. « En symbolique, boiter, c’est être faible, c’est finir ou commencer ». Le soleil devient faible à partir du solstice d’été jusqu’au solstice d’hiver, qui est la nuit la plus longue de l’année. Alors, jeune nouveau-né, le soleil commence sa course ascendante et, de plus en plus fort, il culmine au solstice d’été, dernier jour avant sa lente descente hivernale. Un personnage boiteux, dans un mythe, un conte ou un récit initiatique, désigne systématiquement le pâle soleil du début ou de la fin de l’année en symbolique exotérique, et le moment où le futur initié commence ou termine un cycle initiatique, en symbolique ésotérique.
Mais Héphaïstos n’est pas qu’un artisan de talent. Ingénieux, il fabrique des armes remarquables et il est connu pour cela. Mais il fabrique aussi des chaises roulantes qui se déplacent toutes seules, des servantes en or qui l’aident à se déplacer, et à la demande de Zeus, il va jusqu’à façonner Pandore, une statue d’argile à laquelle Athéna prêtera vie. Cette dernière était venue trouver Héphaïstos pour qu’il lui confectionne des armes. Le dieu, abandonné par Aphrodite, se laissa aller à désirer Athéna, et il se lança à sa poursuite quand elle prit la fuite. Quand il eut réussi à se rapprocher d’elle, à grand peine, puisqu’il était boiteux, il chercha à l’étreindre. Mais elle, la chaste vierge, ne se laissa pas faire, si bien qu’il éjacula sur la jambe de la déesse. Dégoûtée, elle essuya le sperme avec un flocon de laine, qu’elle jeta par terre et s’enfuit… Si Héphaïstos est le dieu du faire, Athéna, qui apparaît ici comme celle qui passe commande, est la déesse du savoir.
Héphaïstos cherche donc à posséder Athéna. Il n’y parvient pas. Le faire ne saurait-il prétendre au savoir ? De nos jours, la recherche en robotique tient de cette tension. Si faire n’est pas comprendre, comprendre permet de faire, mais malheureusement, pas toujours ; et si on peut très bien faire sans comprendre, faire procure aussi des outils, parfois inattendus, pour comprendre. Les progrès technologiques en matière de mécatronique permettent le déploiement des robots dans les laboratoires de recherche. Héphaïstos recommence donc avec de nouvelles Pandore. Elles ne sont plus d’argile mais mécatroniques. Et elles sont animées. L’analogie entre l’homme et la machine s’impose. Elle ne peut être esquivée. Héphaïstos détiendrait-il, finalement, les clés du savoir ? Avec ses machines qui s’adaptent, qui « décident » de leurs actions, que peut-il nous dire sur notre propre « fonctionnement » ? La question est dangereuse et belle. Un robot est une machine commandée par un ordinateur, il n’est que cela. Pour animé qu’il soit, il reste et restera un objet sans âme. Pour autant, une conscience émerge, laissant les robots sortir des murs de leurs usines pour travailler avec l’homme et le servir. L’homme devient partie intégrante de l’environnement du robot. La plasticité dont l’homme fait preuve depuis qu’il a taillé son premier galet lui permet de s’adapter très rapidement aux nouvelles technologies. L’innovation technologique condamne toujours des savoir-faire et des savoir-vivre. Dans ce sens, la robotique doit aussi nous interroger.
L’Homme est, face à Athéna, l’éternel boiteux. Il n’a rien à dire qu’il sache sur la civilisation, il ne sait que faire ! Finalement, Athéna s’enfuit et, de la semence tombée dans la terre, naît Érichthonios qui fut l’un des premiers rois d’Athènes. La tentative de possession n’a donc pas été stérile ! Elle transforme d’ores et déjà nos modes de vie. A l’instar d’Héphaïstos, d’Athéna et d’Érichthonios, Ptah, associé à Sekhmet et Nefertoum symbolisent le savoir et le faire, fruit de l’union de l’Esprit créateur et de la Matière qui l’emprisonne dans le silence de la vie intérieure, pour que puisse un jour s’exprimer sa Sagesse. Ce n’est que dans une union intime de l’Esprit et du Corps, se consumant et mourant l’un à l’autre, que le disciple pourra naître à la Connaissance. Cette union de l’Esprit et du corps, s’exprime dans le « Feu par friction », feu de tension réciproque, feu de procréation, feu de reproduction, feu de création spirituelle, feu de Ptah, feu constructeur de l’Ame intellectuelle. C’est vers cette union de l’Esprit et du corps, lumière émanée de la vibration primordiale, que tend l’initié en maitrisant le faire et en se rapprochant du savoir par la pratique du rite.
Ainsi, le mystère de la présence divine dans le cosmos est révélé, et le rôle de l’humain consiste à dire, à faire, à consolider, à affermir ce que l’Égypte ancienne nomme Maât. C’est en renouvelant consciemment le processus de création, la « Première fois » de la création du monde, l’émergence de l’Etre universel, que l’on repousse les forces du chaos et que l’on établit et affermit Maât.